Les lipides : leur rôle étonnant dans les cellules cancéreuses

Publié le 12 février 2018 dans News


Les cellules cancéreuses puisent leur énergie dans les glucides, protéines et lipides. Par ailleurs, elles ont aussi besoin d’oxygène qu’elles prélèvent dans le sang pour optimiser l’extraction de l’énergie au départ de ces sources nutritives. Les cellules cancéreuses ont des besoins énergétiques très importants, du fait de leur métabolisme très actif : c’est donc toujours au détriment des cellules du tissu qui les héberge, qu’elles captent « la nourriture » dont elles ont besoin. Les cellules cancéreuses disposent de différentes options pour obtenir nutriments et oxygène en suffisance.
« Elles améliorent la captation des ressources nécessaires à leur croissance en induisant la formation de nouveaux vaisseaux sanguins, un processus appelé angiogenèse. Une deuxième solution est d’aller chercher ailleurs les substrats qu’elles ne trouvent pas sur place, comme si la recherche d’un environnement plus propice les poussait à essaimer dans l’organisme (métastases). Dans notre recherche, nous avons étudié une troisième option : l’adaptation métabolique. Car certaines cellules cancéreuses, faute d’oxygène, s’adaptent en utilisant en priorité des ressources moins dépendantes de l’oxygène« , explique Olivier Feron. C’est là le point de départ d’une double découverte …

Talon d’Achille

Les cellules cancéreuses adaptent leur métabolisme et se tournent préférentiellement vers le glucose. Mais comme elles ne dispose pas d’une quantité suffisante d’oxygène pour extraire toute l’énergie disponible du glucose, une bonne partie est gaspillée.
« Les cellules cancéreuses, pour soutenir leur croissance, doivent donc en consommer en très grandes quantités de glucose. Et cette consommation effrénée présente un gros inconvénient : car plus une tumeur utilise du glucose, plus elle s’acidifie« , poursuit le chercheur.
Cette simple observation est à l’origine de la découverte d’Olivier Feron et de son équipe récemment publiée dans la prestigieuse revue Cell Metabolism.
« Nous avons observé que les cellules tumorales survivent idéalement dans un environnement dix fois plus acide que les cellules normales mais pas au-delà. Nous avons donc cherché à comprendre ce phénomène et ce qu’il implique. Il s’avère que lorsqu’un certain taux d’acidité est atteint, les cellules tumorales cessent de consommer du glucose pour se tourner vers les lipides qu’elles vont dégrader dans les mitochondries. Elles trouvent ainsi, dans les acides gras, le substrat nécessaire pour leur fournir l’énergie dont elles ont besoin pour proliférer sans accroître l’acidité ambiante qui leur serait fatale« .

Acides gras et acides aminés

Dans leur étude, les chercheurs ont constaté que l’acidité induisait une grande consommation d’acides gras par les tumeurs, mais pas seulement : celles-ci utilisent aussi beaucoup de glutamine, un acide aminé très présent dans le sang. Et pour cause …
« Outre une source d’énergie, les cellules cancéreuses ont besoin de lipides et de protéines pour la formation de nouvelles membranes et différents composants de la machinerie biologique. Comme les lipides prélevés à l’extérieur de la cellule sont essentiellement utilisés pour produire de l’énergie, les cellules cancéreuses vont faire une chose très étonnante : elles vont capter les acides aminés (la glutamine) non seulement pour produire des protéines mais aussi pour les transformer en acides gras ! Autrement dit, une même cellule est capable à la fois de capturer les acides gras à l’extérieur pour en extraire de l’énergie, et d’en synthétiser d’autres pour fournir les briques nécessaires à la croissance cellulaire. C’est une caractéristique propre aux cellules cancéreuses, car les cellules saines sont capables de faire soit l’un, soit l’autre, mais pas les deux en même temps« .

Traitements possibles ?

Cet atout pour les cellules tumorales est également une faiblesse qui permet d’imaginer de nouvelles pistes de traitement !
« En perturbant le métabolisme de la glutamine ou des acides gras, nous sommes parvenus à bloquer la croissance tumorale chez la souris. Nous cherchons également aujourd’hui à identifier des composés cytotoxiques partageant certaines caractéristiques structurelles avec les acides gras ; ils pourraient être exploités, vu l’appétence des cellules tumorales pour les acides gras, à des fins thérapeutiques. Une autre piste consiste à inhiber l’entrée des acides gras dans les cellules tumorales. Dans le domaine cardiovasculaire, de tels inhibiteurs sont déjà utilisés en particulier chez les insuffisants cardiaques. Ces traitements sont sur le marché depuis plusieurs années et ont donc déjà fait la preuve de leur innocuité, ce qui pourrait faire gagner un temps précieux pour initier des premiers essais cliniques chez des patients atteints d’un cancer. Nous travaillons aujourd’hui à prouver dans nos modèles que ces médicaments sont des traitements antitumoraux en puissance. Ces données devraient convaincre les firmes qui produisent ces médicaments de les tester en clinique dans une nouvelle indication« .

Acides gras et alimentation ?

Mettre le doigt sur le besoin des cellules cancéreuses en acides gras a incité la grande presse à immédiatement établir un lien avec une alimentation grasse, qui offrirait la « nourriture » nécessaire aux cellules cancéreuses pour grandir et se multiplier. Mais qu’en est-il réellement ?
« Concrètement, notre équipe n’avait pas pour projet d’investiguer cette voie et notre première réaction a été celle de la prudence. Prévention et traitement sont deux entités distinctes. Je m’explique, une alimentation trop riche en graisses augmente certainement les risques de développer un cancer et donc justifie des mesures de prévention basées sur une alimentation équilibrée riche en fruits et en légumes. Notre travail, quant à lui, s’entend lorsque la maladie est installée et si influence de l’alimentation il y a, cela implique dès lors que nous pourrions agir sur l’évolution de la maladie en modifi ant nos habitudes alimentaires, voire en introduisant certains aliments à visée thérapeutique. Notre curiosité a toutefois été piquée au vif et nous avons aujourd’hui initié une étude avec l’équipe d’Yvan Larondelle à l’UCL pour explorer ce concept avec les outils moléculaires et biochimiques qui sont les nôtres« .
Cette double découverte d’Olivier Feron et d’un jeune chercheur post-doctorant, Cyril Corbet, a été possible grâce à un financement provenant de la Fondation contre le Cancer, le Fonds Maisin, le FNRS et le Télévie. Et comme cette recherche fondamentale est aujourd’hui porteuse d’espoir d’un nouveau traitement du cancer, il convient d’également souligner le sponsoring de la Région Bruxelles Capitale (Innoviris) et la Région Wallonne (BioWin, WB Health) qui au fil des ans ont permis au laboratoire d’Olivier Feron de développer l’expertise nécessaire en matière de recherche appliquée.
« Pour un chercheur dans le domaine biomédical, l’aboutissement d’un projet de recherche est certainement la publication des résultats dans un excellent journal mais la satisfaction est d’autant plus grande si ce même travail est source d’inspiration et d’espoir pour des développements cliniques« , conclut Olivier Feron.

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